Ayron JONES / Child of the State
« Ayron, tes premiers albums sont restés confidentiels, comment expliques-tu cela ?
– Je n’ai pas de problème avec ça, avoir un discographie plus underground, c’est plutôt sympa pour le futur, les gens vont pouvoir les redécouvrir. Cela permet de suivre l’évolution d’un artiste.
– C’est vrai, le public pourra te redécouvrir…
– Ce sera intéressant, un album majeur, c’est différent des albums indés que j’ai pu réaliser. J’ai la chance d’avoir eu une carrière en toute indépendance à mes débuts, et mes 2 premiers albums montrent le chemin parcouru. Le public pourra s’il le souhaite s’y plonger.
– L’un de tes albums précédents a été produit par Sir Mix-A-Lot. N’est-ce pas un peu surprenant d’avoir choisi un rapper pour produire ce disque ?
– Ça a été surprenant pour plein de monde, mais c’est ce qui a fait de cette expérience quelque chose d’unique. C’est aussi le moment dans ma carrière où je suis devenu un vrai musicien, avec de vraies tournées. Et puis Sir Mix-A-Lot est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré et qui m’inspire toujours au quotidien. J’ai beaucoup joué dans les bars, les clubs, des concerts de 3h, et il est entré dans ce bar glauque, souterrain et sentant la pisse. Il est venu vers moi et m’a dit « J’aime ce que tu fais, je veux produire ton premier disque ». Je n’avais pas enregistré grand chose, à part des chansons de 30 minutes de long, en jam sessions. Alors j’ai appris à écrire de manière naturelle, et cela a donné naissance à la personne que je suis maintenant.
– Tu jouais à l’époque avec ton groupe, Ayron Jones and the Way. Tu peux nous en dire un peu plus ?
– C’était un power trio, monté à force d’écumer les bars de blues. On faisait des reprises blues bien sûr, mais aussi des reprises du Top 40 du moment. On a joué dans à peu près tous les bars de Seattle, on a sorti ce premier disque, puis le groupe est parti en tournée. Et là, ça a été la folie, on a fait des trucs fous, comme des premières parties de grands groupes : Offsprings, B.B. King, Guns’N’Roses. C’est vraiment là que ma carrière a décollé. Mais ça m’a surtout forgé à force travail. Et ça m’a ouvert des portes.
– Les gens pensent que tu es un artiste émergeant, mais en fait, tu as de sacrés antécédents !
– Oui, ça fait un moment que je pratique !
– Ta musique est un vrai melting-pot : rock, grunge, blues, hip hop et même des arrangements de cordes, quels sont les artistes qui t’ont le plus influencé ?
– Globalement, tous les artistes populaires dans les années 90, et bien sûr les artistes grunge comme Pearl Jam, Soundgarden, Mudhoney, Nirvana, tous ces groupes issus de Seattle. Et à cette époque, Michael Jackson, c’était énorme. Stevie Wonder aussi était bien présent. J’écoutais aussi Prince, Guns’N’Roses. J’ai grandi en apprenant à jouer du violon ; Mozart et Bach ont également contribué à mon identité musicale. Il y a tellement d’artistes que j’ai écouté et adoré. Bien entendu, Jimi en tant guitariste, Michael en tant que chanteur.
– Beaucoup de grands groupes de Seattle en somme.
– Oui, c’est l’héritage de Seattle.
– La première fois que nous avons diffusé « Take me away » dans l’émission Sensation Rock, pas mal de gens ont appelé ou envoyé des messages et demandaient : « C’est qui ce mec qui chante comme Michael?! ». Alors on a un peu réfléchi, et une idée nous est venue : est-ce que cela te plairait de reprendre en live Dirty Diana ?
– Mec, tu sais, « Take me away » est inspirée de Dirty Diana… J’étais obsédé par cette chanson. Pour moi, ce morceau était comme un clin d’œil, avec ses guitares lourdes et nerveuses, dans sa structure aussi.
– Parlons, si tu le veux bien, de sujets plus personnels. Ton album s’intitule « Child of the state » (NDRL : littéralement « Enfant de l’état », mais qui peut se comprendre comme pupille de la Nation). Il est dédié à la mémoire de Tammy Owens et Michael Jones. Peut-on savoir de qui il s’agit ?
– Il s’agit de mes parents. Ma mère est décédée il y a quasiment 10 ans, mon père il y a 3 ou 4 ans. Il ne m’ont jamais vu sur scène, et n’ont jamais su qui je deviendrai. Ma mère est morte avant même que je ne rencontre Sir Mix-A-Lot et que les choses commencent à changer pour moi, elle était alcoolique et droguée jusqu’à sa mort, dans sa quarantaine. Mon père, c’était presque pareil, mais un peu différent aussi. Il était drogué, et impliqué dans des affaires de trafic sexuel. Il n’a jamais été présent pour moi, il avait plusieurs enfants, plusieurs vies aussi. J’ai donc manqué d’une figure paternelle. Mais je leur suis quand même reconnaissant de qui je suis devenu. Donc c’était très important pour moi de leur dédier cet album.
– C’est fou de voir à quel point tu as pu en faire quelque chose de beau et de plus grand que ton passé… J’ai été un peu réticent à te poser cette question, mais je m’y suis senti autorisé de part le titre de ton album, et les premiers mots de « Take me away » : the day my #`@{`{ mama abandonned me.
– The day my fucking mama abandonned me, oui… ne t’inquiète pas, je suis un livre ouvert !
– Parlons de la chanson « Mercy ». C’est un appel, une incantation. Que voulais-tu exprimer exactement ?
– Tous les jours, je me réveille et j’assiste, et ici aux États-Unis, mais aussi dans le monde, à des crimes contre l’humanité. En particulier pour les personnes comme moi. Les femmes et les hommes noirs aux USA. C’était important pour moi de capter ce que se joue actuellement : le COVID, les manifestations violentes, et j’en passe. Alors je voulais matérialiser ce que c’est que d’être noir dans ce pays, de voir des gens comme toi abattus par les autorités, presque tous le jours.
– Oui, l’actualité du moment, c’est notamment la nouvelle demande de procès effectuée par l’assassin de George Floyd. D’ici, c’est totalement incompréhensible.
– C’est incroyable pour nous aussi. Psychologiquement, cela a un impact énorme sur la communauté noire. « Mercy », c’est tout ça, prendre toutes ces émotions et les mettre dans une chanson. Frustration, colère, intercession, comme « prends pitié ». C’est une guerre qui ne dit pas son nom, dont on n’a pas conscience mais dans laquelle nous sommes nés. C’est aussi le fait d’un conditionnement, très difficile à briser. Nous devons apprendre à penser différemment, à pardonner le passé, et construire l’avenir ensemble. Pas juste pour les noirs, mais pour tout le monde ! Nous sommes supposés être libres et égaux. « Mercy » sera donc pour moi un marqueur de toute cette période.
– Quand j’ai entendu cette chanson, j’ai pensé à celle de Ben Harper, « Like a king », qui évoque les mêmes sujets. C’est un combat qui semble sans fin. Passons à autre chose ; dans « My love remains », on sent la présence de Jimi, SRV, Prince. Te sens-tu un peu leur héritier ?
– Peut-être pas leur descendant direct, mais oui, un héritier indirect. Je voulais surtout leur rendre hommage, leur témoigner mon respect, et montrer leur influence. C’était l’intention première.
– Dans le clip de « Take me away », tu es au somment du Space Needle. As-tu eu l’impression de dominer toute la ville ?
– J’ai surtout eu l’impression de dominer…une ville complètement vide ! C’était en pleine pandémie. Seattle a été confinée, j’avais l’impression d’être la seule personne de toute la ville. À part les caméras et l’hélicoptère qui tournait autour du Space Needle et qui me filmaient. C’est un truc dingue, duquel je me souviendrai toute ma vie. Lancer une carrière un peu plus mainstream au milieu d’une pandémie et en tournant une telle vidéo, c’était juste génial.
– Parlons guitare et son. Tu joues de la guitare, de la basse, du violon, du piano. Dans tout cela, quelle est la part d’autodidaxie ?
– Je me considère comme un autodidacte dans toute mon approche de la musique. J’ai travaillé à jouer ce que j’entendais au début, et je continue à ce jour. Même si je connais le nom des accords que je joue, le nom des techniques que j’utilise, etc. J’apprends surtout l’expressivité, la manière de faire passer une émotion. Pour te donner un exemple, tous les solos de l’album étaient non pas écrits mais improvisés. Répétés bien sûr, mais pas écrits. Et ce jusqu’à ce que cela sonne comme je le voulais. Cela dit, j’ai appris le violon du collège au lycée, le solfège et la théorie musicale aussi. Ce ne sont que des outils me permettant de créer. À 17 ans, j’ai par exemple arrangé et joué une pièce pour guitare de Bach avec un orchestre de chambre. Donc j’utilise tout ça. D’ailleurs, les gens ne réalisent même pas que sur « Take me away», il y a pas mal de cordes…tout un orchestre ! Sur « Spinning Circles » aussi. Pour le solo de « Take me away », j’ai essayé de produire le son d’un violon avec ma guitare.
– Tu joues principalement sur des Stratocasters, mais comment parviens-tu à avoir un son aussi lourd et précis à la fois ?
– Les Stratocasters sont très intéressantes. Et cela dépend aussi de ta configuration. J’utilise des Humbuckers. Principalement pour les bridges. Et du nombre d’amplis. Je les empile ! Sur scène, j’utilise des 2 amplis stéréo 4×12. Mais on ne peut pas ignorer le son des Gibson, alors j’en utilise également. Ça dépend du moment, de l’intention que je veux y mettre. Mais les Strats, ça reste quelque chose. Jimi et d’autres arrivaient à en sortir un son énorme et plein.
– As-tu déjà voyagé en France ? Je te pose cette question surtout parce que tu utilises deux mots français dans tes paroles, clique et boudoir. Ce sont des mots un peu vieillot.
– En anglais, on a des tas d’expressions comme ça, avec des mots venant d’un peu partout. J’ai toujours rêvé de venir en France pour visiter la ville qui porte mon prénom : Ayron ! Attends, je vérifie où cela se trouve. Dans la « Vienne » ! Je le prononce correctement ? Et Paris, bien entendu. Faut vraiment que je visite Ayron.
– Peut-être dès lors que les tournées pourront reprendre ? Dernière question, quelle surnom de Seattle préfères-tu ? La ville Émeraude ? La reine des villes ? La ville des jets ? La ville des moteurs ?
– Définitivement la ville émeraude. C’est celui qui lui va le mieux.
– En tout cas, on te souhaite beaucoup de succès, et merci pour le temps que tu nous as accordé.
Interview réalisée le 06/05/2021 via ZOOM.
Remerciements à Ayron JONES pour sa gentillesse, son temps, sa franchise et son talent, ainsi qu’à toute son équipe, dont Olivier GARNIER (REPLICA Promotion).
Merci également à Boban pour sa confiance.